En 2022-2023, l'université de Tours a accueilli en résidence le traducteur Laurent Vannini, au sein de l’unité de recherche interdisciplinaire Interactions Culturelles et Discursives (ICD), pour un travail de recherche et de création autour des enjeux des pratiques contemporaines de la traduction en interrogeant plus spécialement les rapports de force et domination qui les traversent.
Les résidences d'artistes sont soutenues par la
DRAC Centre-Val de Loire. En lien avec l’unité de recherche interdisciplinaire Interactions Culturelles et Discursives (ICD).
La résidence de Laurent Vannini a été perturbée par les mouvements sociaux et n'a pas pu se dérouler dans son intégralité.
— Laurent Vannini
Laurent Vannini est né en 1970 à Dombasle-sur Meurthe. Étudiant en gestion, commercial, activiste de la diversité linguistique, journaliste, puis consultant en nouvelles technologies, il reprend des études en Arts et Langages à l’EHESS en 2010, traduit depuis 2011 des textes de sciences humaines et de littérature et milite dans un syndicat de travailleurs et travailleuses artistes auteurices, le STAA CNT-SO. Il a notamment traduit
From Counterculture to Cyberculture de Fred Turner, ouvrage de référence en matière des liens entre contre-culture et nouvelles technologies, ou bien plus récemment l’ouvrage majeur de philosophie de Valentin Yves Mudimbe,
The Invention of Africa.
The Auctioneer, de Joan Samson, est sa première traduction de roman, et sera publié aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Ses recherches personnelles portent ce qu'il appelle la transmission de l’oubli.
— Écrire et traduire en minorité : présentation de la résidence
Le 9 novembre 2022, lors d’une soirée sous la thématique Écrire et traduire en minorité, Laurent Vannini a présenté son année de résidence à Thélème.
Avec Canan Marasligil, auteurice féministe et traductrice littéraire,
Mohamed Mbougar Sarr, lauréat du prix Goncourt 2021,
les chercheuses Michaela Enderle-Ristori, Yekaterina Garcia Markina, Anna Krykun,
et les musicien.ne.s Pelin Başar et Mustafa Caner Sezgin.
L'anglais a détruit la littérature orale gĩkũyũ et kényane. C'est dans ces termes que Ngũgĩ Wa Thiong'o, plume majeure de la littérature mondiale depuis soixante ans, décrit ce qu'une langue coloniale fait à un pays tout entier, à ses peuples.
Décoloniser l'esprit, paru en 1986, dans lequel le rôle de l'anglais est ainsi dépeint, est son dernier ouvrage écrit en anglais. Depuis lors, Ngũgĩ Wa Thiong'o écrit d'abord romans, essais ou poésies en gĩkũyũ, puis les traduit vers l'anglais.
Ce qu'une langue détruit, comment le reconstruire ? Comment des décennies, des siècles de violence et d'enfouissement exercés par une langue coloniale sur les langues de peuples colonisés peuvent-ils faire présent aujourd'hui ? Et quelle place peut-il exister dans ce présent pour les langues violentées et pour leurs locuteurices, constamment renvoyé.e.s à la minorité de leur "culture", de leur "langue", de leur "couleur de peau" dans les structures même de la société mondialisée ? Quelle place peuvent-elles occuper dans leurs langues devant la puissance invisible de ce que Valentin Yves Mudimbe appelle la
structure colonisatrice, dont les langues coloniales ne sont que la partie émergée ? Enfin, quel rôle joue la traduction dans la violence et la résistance entre langues coloniales et minorées ?
Canan Marasligil navigue entre quatre langues pour traduire romans, poésies, essais, livres pour enfants. Mais elle donne également de sa voix pour démêler l'écheveau économico-politique du monde normatif de l'édition. Mohamed Mbougar Sarr a écrit quatre romans en français dont les thèmes traitent des violences faites aux humains, leurs corps, leurs âmes, leurs langues, et il se charge lui-même de la traduction de son dernier opus, prix Goncourt 2021, en sérère. À la lumière de leur vécu entre maints langues, ils et elles nous ont partagé quelques éléments de réponse sur les rapports de force et de domination dont la traduction est le véhicule.
— Atelier-résidence : Ce que ça fait (au corps) de traduire
Au deuxième semestre, Laurent Vannini a proposé aux étudiant.e.s de l’université un atelier d’écriture intitulé
Ce que ça fait (au corps) de traduire.
D’une langue à une autre, il n’y a qu’un pas à franchir, celui de la traduction. Roman fantastique vietnamien, essai philosophique congolais, journal intime kurde, tout se traduit et dans le glissement d’une langue à une autre, les kilomètres, les siècles, les différences s’effacent. La traduction est une machine à recréer de l’universel dont les traducteur.ice.s sont les opérateurs.
Du moins pourrait-on le croire.
Cet atelier a ainsi exploré le rapport qu’entretient la traduction avec le corps. Que ressent-on réellement en traduisant ? Que deviennent les corps des auteur.rice.s dont les mots défilent sur les pages et deviennent en nous des images ? Que deviennent leurs émotions ? Traduisons-nous ce que des personnages ressentent ou bien ce que nous avons ressenti en lisant ? Et si la traduction n’était pas une affaire de glissement de langue à langue mais de corps à corps ? Des corps ancrés dans des histoires et des situations sociales différentes. Dès lors, où se situe le sens de l’universel que l’on prête aux traducteur.rice.s ?
— Les actions menées à l'université de Tours
Le vendredi 14 octobre, Laurent Vannini a animé un atelier de traduction destiné à traverser collectivement l’expérience de traduction de la violence et de mettre des mots sur ce qui fait de la traduction un art à part entière.
Le jeudi 10 novembre, c’est accompagné du romancier et essayiste sénégalais Mohamed Mbougar Sarr que Laurent Vannini a pu échanger, durant l’événement inaugural de la semaine de l’interculturalité 2022, autour du thème de la transmission et de son lien avec la traduction.
Le mercredi 16 novembre, ce dernier a pu animer une conférence sur
Le portrait de l’artiste en (jeune) traducteur en mettant en évidence tout les stéréotypes que possède ce métier.